Congo: Des bardes d’un nouveau genre

Les musiciens sont aujourd’hui incontestablement les référents sociaux de la jeunesse kinoise, les seules personnes capables de l’influencer. Ces personnages charismatiques sont des figures dissidentes qui, prenant le pas sur le pouvoir politique, s’imposent comme les nouveaux leaders de la jeunesse urbaine, en attente de reconnaissance. Ces nouveaux bardes modernes lui portent de l’intérêt et lui rendent espoir. En retour, la jeunesse sait leur rendre hommage.
Détenteurs de l'histoire orale, les bardes et griots sont des moralistes, garants des traditions, maîtres incontestés de la parole et de la musique.

L'essor de la musique congolaise moderne et des musiciens qui la propagent, témoigne à la fois du poids de l’oralité dans la tradition congolaise, et de l’inventivité de la population et des artistes congolais. Ces derniers se sont parfaitement adaptés au contexte contemporain, et aux besoins de la jeunesse kinoise, à tel point qu’aujourd’hui ils occupent une position très enviable dans les imaginaires, en particulier dans les milieux défavorisés et estudiantin, car ils sont des orateurs très appréciés, des éducateurs. Pour les Kinois issus des milieux les plus pauvres, les conseils prodigués par les musiciens ont en effet une grande importance : grâce aux paroles de leurs chansons, ils leur apprennent parfois à réagir dans certaines situations délicates, ou à mieux appréhender les relations humaines ou la vie de couple, par exemple. Cela est dû à l’instruction précaire que ces jeunes de Kinshasa peuvent avoir reçue, au manque de repères familiaux solides, ou aux difficultés financières ou familiales qu’ils peuvent rencontrer.

Aujourd'hui, conscients de leur rôle de référents sociaux de la jeunesse kinoise, se sachant les seuls capables de l’influencer, les musiciens profitent de cette position de force et de leur statut avantageux, en tentant de se rapprocher des élites politiques. Ils souhaitent ainsi obtenir des avantages en nature et des passe-droits, alors que les hommes politiques font appel à leur tour aux musiciens, qui jouissent d’un véritable monopole de l’accès à la parole et aux médias, pour se faire entendre et faire passer des messages. C’est ici une véritable alliance qui se noue au quotidien, entre hommes politiques soucieux d’améliorer leur image, et musiciens avides d’argent et de liberté de mouvement. Cette collaboration s’annonce d’ailleurs particulièrement puissante et efficace dans la perspective des prochaines élections en République démocratique du Congo, et les fan-clubs risquent de devenir des lieux où se construit et se façonne l’opinion publique, les nouvelles tribunes politiques de l’élite, ou même des instruments de la lutte pour la gestion de l’État.

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