La chanson en lingala: quelles évolutions? partie2 :L'apparition du « générique »

Les chansons de Kallé, de Paulo Kamba ou de Wendo Kolosoy - qui sont considérés comme les précurseurs de la rumba congolaise - avaient donné le ton : il fallait privilégier le texte et non le « chauffé » (moment où les paroles cèdent la place au rythme, et où les cavaliers sont censés se séparer pour une démonstration de la danse du moment). Ainsi en était-il des chansons du Tout Puissant OK Jazz de Luambo Makiadi alias Franco (Mario, Liberté, Boma Nga na boma yo) ou de Youlou Mabiala (Petit chéri, Chérie Kamikaze) ou encore de Tabu Ley (Sorozo, Nzalé). Dans ces chansons, le texte, construit dans un lingala soutenu, contenait alors peu d'ingérence des mots dérivés de la langue française. Et, en la matière, le groupe OK Jazz de Franco comptait parmi ses membres l'artiste Simaro, surnommé « Le Poète ». Celui-ci composait ses titres en s'inspirant des thèmes éternels ( la mort, l'amour, l'argent, la pauvreté ) comme en témoignent ses célèbres chansons Kadima, Diarrhée verbale, Mbongo etc. A la rumba congolaise de Kinshasha dominée par le TP OK Jazz de Franco ou l'Afrisa International de Tabu Ley, on pouvait opposer celle de Brazzaville dont l'un des groupes en vue fut Les Bantous de la Capitale. Ainsi émergea, à Brazzaville, une tradition de la rumba incarnée par des artistes comme Essou, Pamelo Mounka, Kosmos, Youlou Mabiala, Pierre Mountouari et bien d'autres.

L'analyse des titres actuels montre plutôt que le « chauffé » a pris le dessus sur la longueur des paroles. Un album qui serait entièrement « à paroles », serait voué à un échec commercial international puisque limitant son audience à quelques nostalgiques de la rumba d'antan, aux personnes d'un certain âge ou, plus directement, au seul milieu congolais des deux rives. Ainsi, les chanteurs congolais ont inventé ce qu'ils appellent le « générique », et c'est celui-ci qui donne le titre à l'album entier .

Dans ces morceaux, les paroles sont en général laissées à l'improvisation de l'animateur qu'on appelle « atalaku » et dont les plus célèbres dans les deux Congo sont ( ou étaient ) Mbochi Lipasa, « CNN », Dolce Parabolique, « Bill Clinton », Bébé Kérosène, Tutu Kaluji et Kila Mbongo.

Si, par définition le générique d'une chanson devrait être bref, une sorte d'introduction, de prélude, dans les titres congolais c'est plutôt le contraire : aucun des génériques de ces dernières années ne fait moins de cinq minutes. Quant au contenu, les animateurs (atalakus) s'appliquent à citer des noms des individus, des notables, des hommes politiques, des « Parisiens » et autres Sapeurs de la place de Paris et de Bruxelles. On compte par exemple plusieurs centaines de noms « lancés » dans l'album Loi de Koffi Olomidé, album qui fut écouté dans toutes les capitales africaines grâce à ce générique qui popularisait alors la fameuse danse ndombolo... alors que jusque là, toute production congolaise était qualifiée de Soukouss dominée par les artistes comme Aurlius Mabélé, Shimita, Luciana « 100 pour 100 » . Ils durent céder la place à la « génération ndombolo »...

Le phénomène du générique a dépassé le cadre de la chanson pour devenir un enjeu économique. En effet, certains entrepreneurs, qui ont compris l'impact de ce premier titre d'un album dans les communautés congolaises, en profitent pour faire la publicité de leur commerce. C'est le cas par exemple de Kin Service Express, Kin Fret Service, qui sont des compagnies d'import-export. Récemment, même la compagnie de transfert d'argent Western Union s'y est mise, allant jusqu'à parrainer les concerts d'artistes congolais. On la cite explicitement à la fois par Wera Son et Koffi Olomidé. Et le chanteur Wera Son lance, sans transition, dans l'album Opération Dragon : « Pour envoyer l'argent au pays, contactez Western Union » tandis que Koffi Olomidé, pour la promotion d'une société de transport, souligne dans son générique de l'Album Droit de veto : « Exxon International Trader livre votre voiture à domicile »

Toutefois, il faut souligner que la promotion dans la chanson n'est pas un phénomène nouveau. En son temps, le groupe OK Jazz de Franco avait chanté l'apparition de la nouvelle Wolksvagen au Zaïre tandis que Mbilia Bel louait la Résidence Marina de Brazzaville, la bière Skol, et Emeneya Kester la bière Primus !

Pourtant, beaucoup de musiciens congolais ignoraient encore que toute publicité était payante. Ainsi, à la fin des années 70 et tout au long des années 80, Papa Wemba a promu gratuitement dans ses albums plusieurs couturiers de la place parisienne ( Armani, Boulevard, Comme des Garcons, Firenze, Gianni Versace, Gian Franco Ferré etc.) ou des chausseurs de luxe comme J.M Weston, Church ou Doctor Martens.

Et aujourd'hui la pub de la bière est devenue des tubes comme "Swi" (skol) de koffi ou "Sous sol" (Primus) de werrason.

A suivre.....

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